René Sarvil
- par Jacques BONNADIER, journaliste à Marseille
… afin de raviver le souvenir de René Sarvil (Toulon 1901-Marseille 1975), chansonnier, auteur dramatique, acteur de théâtre et de cinéma, artiste de music-hall, dont le nom reste d’abord associé aux plus grands succès de « L’Opérette marseillaise » des années 30 et 40. Hommage donc à « l’oublié de La Canebière ».*
Si je vous cite, parmi des dizaines d’autres, quelques titres de chansons « marseillaises », par exemple : Le plus beau tango du monde, Adieu Venise provençale, Un petit cabanon, Cane, Cane, Canebière… Ou encore : Sur le plancher des vaches, La valse du Racati, Vous avez l’éclat de la rose, Miette, Le petit bal de La Belle de Mai, Le plaisir de la pêche…, vous me direz que ce sont toutes des chansons de Vincent Scotto et vous aurez raison. Mais si je vous demande aussitôt d’ajouter le nom de leur parolier, je ne suis pas certain que vous me répondiez : René Sarvil. Or, il ne faut pas oublier les paroliers ! Et surtout celui-là qui, durant trente ans, a collaboré avec Scotto pour presque toutes ses opérettes en tant qu’auteur de leurs livrets et des paroles de leurs chansons.
René Crescenzo, à la scène René Sarvil, débuta avant les années 20 en chantant à l’Alcazar puis dans ses propres cabarets : « Le Charrieur » au cours Belsunce en 1927 ; « Le Palermo » à la rue Thubaneau en 1930. Il y recevait les chansonniers parisiens et y montait ses propres spectacles, ses propres revues, d’inspiration méridionale évidemment, en auteur-acteur particulièrement doué et à la verve inépuisable. On cite : A coups de griffe, Fais ce que tu veux, écrites en collaboration avec Raymond Vincy (1930), ou C’est rosse, Marie… L’une d’elles fit grand bruit en 1939 : Ta gueule Adolf, (sur la musique d’Henri Martinet, futur compositeur de Petit papa Noël) - qui écrivit aussi en 1941 la partition de Sous le ciel de Cassis, fruit de la complicité de Sarvil et de sa femme auteure dramatique, Juliette Saint-Giniez.
Auteur prolixe de sketches, il en joua et enregistra (en avril 1931) toute une série comme comparse de Raimu : César fait de l’auto, César basse chantante, César roi du clairon, César chez les fantômes, César chez le peintre express, etc…** Dès lors on le verra promener sa rondeur méridionale sur les scènes et les écrans avec une égale bonne humeur, y compris chez Marcel Pagnol, pour y être un des acteurs de Manon des Sources, des Lettres de mon moulin et de Marius.
René Sarvil rencontra Vincent Scotto en 1924, en lui apportant chez lui, à Paris, une chanson intitulée Sans toi. Je lui ai donné les trois premiers vers ; il a fait la musique immédiatement ! C’est ce que me raconta l’auteur lorsque je lui rendis visite au printemps 1974 dans sa maison des Arcs-sur-Argens, alors que je m’apprêtais à écrire une série de longs articles sur le compositeur, à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance à Marseille, le 21 avril 1874.***
De Scotto – devenu son « collaborateur » et qui le resta jusqu’à sa mort (15 novembre 1952) – il me dit : C’était un volcan jaillissant, une cascade de chansons !... Pour moi, c’est l’Offenbach de la chanson ; il avait cette gaîté extraordinaire, cette « vis comica » du gag musical… Il a été le Merckx de la chanson ; il a pris le maillot jaune et il ne l’a plus quitté ! Quant à l’homme, il voyait en lui à la fois Richelieu et Mazarin. D’origine napolitaine, il était d’une très grande habileté. Il avait l’autorité que donne le talent, et une habileté latine pour placer une chanson. Et quand il parlait de son métier, c’était un grand homme ; c’est pour çà qu’il a conquis tout Paris et qu’il travaillé pour tous les grands artistes de son temps. Aujourd’hui, il est devenu un classique qui survit aux époques et aux modes. Notez au passage que René Crescenzo-Sarvil était, quant à lui, né d’un père originaire de Castellamare-de-Stabbia, juste à côté de Naples et d’une mère Marseillaise d’ascendance gênoise.
Les dictionnaires de la chanson mentionnent quelques « tubes » dont les textes sont liés au nom de Sarvil ; par exemple Ne frotte pas, François (musique de Marafioti), que popularisèrent Darcelys et Fernandel ou Le chapeau de Zozo (musique de Borel-Clerc), un des succès de Maurice Chevalier. A quoi j’ajoute le petit bijou plein de fraîcheur et de poésie qu’est Le Noël des petits santons (musique d’Ackermans) que créa Reda Caire, et que chantèrent Alibert et Tino Rossi. Mais c’est incontestablement, aux spectacles marseillais du trio Scotto-Sarvil-Alibert qu’il doit d’abord sa notoriété. Un trio, je le précise, dans lequel Alibert signait à la fois comme librettiste (auteur de l’argument), comme producteur et diffuseur (dans ses théâtres) et comme chanteur-acteur-jeune premier…
René Sarvil a créé dans des rôles de composition et de comique tous ces spectacles : La Revue marseillaise, puis Au pays du soleil (1931) et les six opérettes qui ont suivi jusqu’en 1946 : 3 de la Marine, Arènes joyeuses, Un de la Canebière, Les gangsters du Château d’If, Le Roi des galéjeurs, Les gauchos de Marseille ». Seule Un de La Canebière est régulièrement représentée de nos jours. Mais toutes les chansons de ces opérettes sont reprises sans cesse en pot-pourri pour le plus grand plaisir du public. Tubes sans âge, elles ont pris place dans le patrimoine chansonnier au même titre que Vive la rose et A la claire fontaine. Elles sont passées dans le folklore ! Hommage donc aux artistes qui les ont chantées et jouées : Alibert, Sarvil, Gorlett, Delmont, Jenny Helia, Marthe Marty, Gaby Sims, Mireille Ponsard, Rellys, Vilbert… et au maestro Georges Sellers qui les a orchestrées.
Invité depuis longtemps avec ou sans mon maître et ami Pierre Echinard à présenter les chansons du « genre marseillais » à toutes sortes de spectateurs, à Marseille, en Provence bien sûr mais aussi très loin de leur lieu de naissance – jusqu’à Vandœuvre-lès-Nancy, par exemple ! j’expérimente à chaque fois leur extraordinaire popularité. A peine lancées les premières notes d’un de leurs refrains, les mots viennent à la bouche de leurs auditeurs : J’ai rêvé d’une fleur, Zou, un peu d’aïoli, A petits pas, La petite de La Belle-de-Mai, Tout autour de La Corniche…, comme ceux que je vous ai cités en commençant. Et c’est tout un chœur qui, d’emblée, s’élève joyeusement.
Alors, vive Vincent Scotto ! Et vive René Sarvil !
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* « Sarvil, l’oublié de la Canebière », de Georges Crescenzo et Michel Allione ; et « La véritable histoire de l’Opérette marseillaise » », de Georges Crescenzo ; deux livres aux éditions Autres Temps.
** Double CD « Raimu, de l’Alcazar de Marseille à la Comédie Française, 1930-1942 » où l’on trouve aussi trois scènes de la trilogie de Pagnol et des sketches de et avec Henri Poupon, dont le fameux « Les deux sourds » (Frémeaux et Associés)
*** « Les cent ans de Vincent Scotto », in « Le Provençal » du 14 au 18 avril 1974.